Les techniques douces d'entraînement au sommeil permettent aux parents d’offrir plus de présence à l’enfant que les techniques classiques d’extinction sans modification « cry-it-out » et le 5-10-15 minutes de Ferber. Ces méthodes varient énormément d’une intervenante à l’autre, mais la base du conditionnement opérant est toujours la même, soit retirer graduellement le support parental offert pour le sommeil. Les méthodes les plus communes sont celles d’extinction avec présence parentale comme la chaise et la réponse modifiée.
La technique de la chaise consiste à s’asseoir près de l’enfant sur une chaise sans interagir avec l’enfant et de sortir graduellement de la chambre. Pour la réponse modifiée, le parent doit ignorer le besoin de son enfant et répondre de la façon convenue avec l’entraîneuse au sommeil (p.ex. en faisait « SHHHH », en disant au bébé qu’il est temps de dormir, en tapotant le matelas, en bougeant le lit).
Les parents ont beaucoup de mal à mettre en place une technique plus classique d'extinction. Je suis absolument convaincue que les intervenantes en sommeil étaient toutes très bien intentionnées lorsqu’elles ont décidé de proposer aux parents des interventions qui seraient plus "douces". Toutefois même si le parent demeure dans la pièce sur une chaise ou qu’il offre une réponse modifiée à son enfant, l’expérience du bébé n’est pas moins souffrante. En fait, ce genre de technique pourrait même augmenter la détresse chez l’enfant, de la durée de l’intervention, et se montre peu efficace pour réduire le nombre d’éveils et d’interventions parentales la nuit.
Être assis dans la chambre de son enfant pendant qu’il pleure, sans lui répondre, n'est pas un comportement parental qui permet de maintenir l’attachement et ne fait pas en sorte que l’enfant se sente en sécurité. Dr Edward Tronick est connu pour avoir documenté la détresse des nourrissons devant le visage inexpressif des parents, mieux connu sous le nom de « Still face experiment ». Dans cette expérience la mère est placée en face de son nourrisson et la dyade joue ensemble. Ensuite, la mère doit interrompre le jeu et figer son corps et son visage. Elle doit être présente physiquement, sans intervenir ni répondre aux signaux de son bébé pendant 2 minutes. Le bébé essaie alors de récupérer par tous les moyens la connexion avec sa mère. Il essaie de jouer, pointer, et devient rapidement en détresse, il pleure, cri et se désorganise. Ensuite, la mère reprend les interactions avec son enfant pour l’apaiser. Vous pouvez visionner la vidéo ici : https://www.youtube.com/watch?v=f1Jw0-LExyc. Donc, être sur une chaise sans répondre à son enfant peut être souffrant pour l’enfant sur le plan émotionnel, tout comme l’absence du parent.
Lorsque l’on parle d’attachement, être dans une pièce sans répondre ou en répondant d’une façon inappropriée aux besoins de l’enfant ne sont pas des comportements qui permettent de maintenir un attachement sécurisant envers son parent. Le premier comportement parental attendu pour la formation d’un attachement sécurisant est la réponse sensible aux besoins de l’enfant. Soit la capacité à reconnaître, interpréter, et répondre dans un délai acceptable et de façon appropriée aux besoins de son enfant. Dans le cas de la réponse modifiée, nous sommes loin de la sensibilité parentale, ce qui pourrait faire en sorte que l’enfant ait du mal à se sentir en sécurité pour dormir et manifeste davantage sa détresse.
Selon la théorie du conditionnement opérant, le renforcement intermittent d’un comportement serait la meilleure façon pour augmenter la fréquence d’un comportement. Le phénomène de renforcement intermittent est bien connu dans le domaine du jeu vidéo et des jeux à l’argent. Il mise sur le renforcement intermittent pour maintenir le joueur engagé dans le jeu
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Lorsque les parents sont présents dans la chambre de l’enfant, la réponse parentale intermittente aux pleurs de l’enfant est plus probable (et parfois même encouragée par les intervenantes en sommeil). Ceci renforce les pleurs et la détresse de l’enfant, qui va alors exprimer davantage sa détresse puisqu’il risque peut-être d’avoir une réponse, comme un joueur qui met des pièces dans la machine puisqu’elle va « payer ». Ainsi la présence parentale risque d’augmenter la quantité de pleurs chez l’enfant, et également la durée de l’intervention. Selon une étude rétrospective parue en 2023 dans The Journal of Pediatrics, le nombre de jours nécessaires pour mettre ne place une technique de sommeil avec présence parentale est en moyenne 43 jours, ce qui est significativement plus élevé que l’extinction non modifiée à 25,2 jours et le 5-10-15 qui prendrait 31,8 jours en moyenne à mettre en place selon les parents. Cette même étude a montré que le nombre d’éveils chez les enfants ayant reçu une méthode d’entraînement au sommeil avec présence parentale était exactement le même que les parents qui n’ont pas fait d’interventions pour le sommeil. De plus, les parents qui avaient fait une technique douce devaient se lever significativement plus souvent pour aller voir l’enfant pendant la nuit comparativement aux parents qui n’avaient pas fait d’entraînement au sommeil du tout.
En conclusion, le fait de rester dans la chambre sans répondre à l’enfant ne fait pas en sorte que votre enfant se sent en sécurité et qu’il ne ressent pas de détresse. La présence parentale augmente la probabilité de réponses intermittentes qui renforcent et augmentent les comportements de détresse chez l’enfant et la durée de l’intervention. Les méthodes douces avec présence parentale n’ont pas montré de différences significatives en termes de nombre d’éveil la nuit et se montrent même moins efficaces en ce qui concerne le nombre d’interventions parentales la nuit comparativement à l’absence d’intervention pour le sommeil.
Références
Kahn M, Barnett N, Gardisar M. (2023) Implementation of bethavioral inteventions for infant sleep problems in real-world settings. The journal of pediatrics. Vol 255.
BLUNDEN, Sarah. « Behavioural treatments to encourage solo sleeping in pre-school children: An alternative to controlled crying », Journal of Child Health Care, vol. 15, 2011, p. 107-117.
Ainsworth, M. D. S., Blehar, M. C., Waters, E. & Wall, S. (1978). Patterns of attachment : A psychological study of the Strange Situation. Hillsdale, NJ : Lawrence Erlbaum Associates.
Weinberg, K. M. ; Tronick, E. Z. 1996. « Infant’s affective reactions to the resumption of maternal interaction after the still face », Child Development, 67, p. 905-914.
CALLAHAN Stacey, CHAPELLE Frédéric. Chapitre 4. Notions de base en apprentissage et conditionnement liés aux TCC. In : Les thérapies comportementales et cognitives Fondements théoriques et applications cliniques. Paris, Dunod. Psycho Sup, p.117-153. URL : https://shs.cairn.info/les-therapies-comportementales-et-cognitives--9782100742219-page-117?lang=fr.
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